Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix (Edith Stein) disait : «le Carmel est le sanctuaire le plus intime de l’Église». Cet ordre religieux est né en Terre Sainte à la fin du XIIè siècle lorsqu’un groupe de croisés opta pour y rester et se rendre au mont Carmel pour poursuivre une vie de prière et pénitence. Ceux-ci ont demandé au Patriarche Albert de Jérusalem de leur donner «une formule de vie adaptée au projet de vie commune». Le saint patriarche leur donna une règle inspirée par la parole de Dieu, ayant pour but de « vivre en vous offrant constamment à Jésus-Christ, de lui servir fidèlement avec un cœur pur et en bonne conscience… de méditer jour et nuit la Loi du Seigneur et de veiller dans la prière».
La règle leur ordonne aussi de bâtir « au milieu de leurs cellules» une chapelle où ils puissent se rencontrer et entendre la messe chaque jour. Ils ont dédié cette toute première chapelle à la Vierge Marie et en conséquence, aussi le patronage du nouvel ordre. Dans ce contexte médiéval, cet acte de consécration signifiait l’établissement avec la Vierge, d’une relation de servitude et à la fois, de pleine confiance en sa protection. Ils se sont engagés à l’honorer et la servir à part entière avec la conviction qu’elle aussi les protégera comme une chose qui lui appartient.
Était le mont Carmel l’endroit où le prophète Élie avait vécu, ces ermites qui selon la règle habitait près du lieu connu comme « la fontaine d’Élie », ont décidé de prendre le prophète comme père spirituel et modèle ; une décision qui est interprétée comme un signe de la Divine Providence de perpétuer l’Esprit d’Élie dans l’Église et l’Histoire par l’institution de l’Ordre du Carmel.
Le prophète Élie, au Mont Sinaï-Horeb, avait perçu la présence de Dieu comme «le murmure d’un souffle léger» ( 1 R 19,12) et lui est arrivé de constater que le Dieu unique, vrai et irremplaçable d’Israël, pouvait se montrer aux hommes. Celle-ci sera une des caractéristiques essentielles du Carmel: la poursuite inébranlable d’une intimité et d’une union plus étroite avec Dieu, dans le silence et la prière. Une intimité qui relève des nuances de l’amour des époux, puisque c’est la relation la plus intime qui peut être établie entre deux personnes de familles différentes. Cette relation époux-épouse avec le Christ, Époux de l’Église, a été témoignée à plusieurs reprises par les saintes carmélites, parmi ceux : Sainte Thérèse d’Avila, Saint Jean de la Croix, Sainte Thérèse de Lisieux, Sainte Marie-Madeleine de Pazzi, Sainte Thérèse des Andes, Edith Stein (Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix), la bienheureuse Isabelle de la Trinité ou le bienheureux Francisco Palau.
À cause de l’intense intimité avec la Vierge Marie, à qu’ils appelaient «sœur», Jésus-Christ accorda aux carmélites le privilège de participer dans l’amour de sa mère et de leur donner en héritage la bienveillance d’être un reflet de la beauté de la vie intérieure de sa mère dans l’Église. Ainsi, Sainte Thérèse de Lisieux évoque l’enfance spirituelle de la Vierge ; Saint Jean de la Croix la quête d’union avec Dieu et l’exaltation de sa beauté ; le bienheureux Francisco Palau l’amour pour l’Église ; Sainte Thérèse d’Avila, la souffrance de la Vierge pour l’édification d’une Église entourée par des persécuteurs ou la vie trinitaire de la bienheureuse Isabelle de la Trinité.
Élie est le prophète qui «plein de zèle pour Yahveh, le Dieu des armées» (1 R 19, 14), après l’avoir rencontré en Horeb, entreprend la mission cruciale de changer le cours des événements et finir avec la politique d’Achab et Jézabel, laquelle représentait un grand défi pour l’avenir du Yahvisme et l’originalité religieuse du Peuple Élu. De ce fait, écrit Rome Caveo, Élie devient «le réformateur solitaire que d’après sa rencontre avec Dieu, obtient la faculté de voir ce que personne ne voyait plus, de juger et d’agir avec une forte détermination».
L’Ordre du Carmel incarne aussi cette dimension du prophète Élie dont pendant les périodes les plus dures de l’Histoire de l’Église, au Carmel le sont donnés des fils et filles pour faire aboutir une épopée ressemblante à celle du prophète; qui avec la force de la prière et l’oblation comme instruments, vont renverser les événements de ceux qui à travers les âges ont essayé de détruire l’Église ou de diminuer son influence. C’est là où la présence de la Vierge Marie se laisse apercevoir avec son zèle de mère qui veille pour l’Église et pour ses fils et filles du Carmel auxquels elle a ainsi protégé avec tant d’amour, en même temps que ceux-ci lui servent en aidant l’Église. L’Histoire du Carmel est répandue d’exemples de ceci.
Sans aucun doute, un des moments le plus critique de l’Église fut la réforme protestante. À cette époque-là, au Carmel se sont suscités des saints comme Thérèse d’Avila et Jean de la Croix qu’avec ses prières et sainteté, ont obtenu de Dieu la grâce et la force nécessaire pour arrêter l’avance du protestantisme, recatholiciser vastes zones d’Europe, aider à la réussite doctrinale du Concile de Trente, accomplir le nettoyage et l’amélioration de la formation du clergé ainsi comme le rayonnement de l’Église par les cinq continents.
Au XIXè siècle, partout où le libéralisme atteignait le pouvoir, il emmenait une lutte contre l’Église afin de réduire son influence sociale. Alors, le bienheureux Francisco Palau d’après une relecture approfondie de l’Écriture, dévoile une façon plus efficace d’intercéder auprès de Dieu. Il se rend compte que les péchés collectifs sont un obstacle qu’empêche la prière de parvenir au Seigneur et que le seul antidote était l’offrande de l’Eucharistie, qu’aux yeux de Dieu a plus de valeur que tous les péchés des hommes et pourtant peuvent les rédimer. La prière que de cette façon parvient à Dieu est exaucée avec bienveillance et par conséquent, facilite davantage une effusion de l’Esprit saint qui « renouvelle toute la création». Alors que, tandis que les leaders libéraux attendaient la fin du christianisme, l’Église resurgit avec force et avec un nouvel élan et puissance missionnaire.
Sainte Thérèse de Lisieux jouera un rôle capital dans le combat de l’Église contre le défi de la «morte de Dieu» et l’expansion de l’athéisme militant. Malgré la tuberculose que déchirait son corps et la souffrance de sa «nuit obscure de l’âme» à cause de la faiblesse de la foi de ses contemporains ; les épreuves corporelles et spirituelles de sa vie n’arriveront pas à franchir son amour et confiance en Dieu comme père accueillant et miséricordieux. Dans ses écrits, qui ont connu une grande influence bien au-delà de l’Église, elle fait l’appel à établir une relation filiale de tendresse et confiance avec Dieu et de lui offrir pour la santé de l’Église des petits sacrifices en union avec le sacrifice du Christ.
Au début du XXè siècle, tandis que l’Europe traversait une conflagration militaire sans précèdent, la Vierge apparut à Fatima en demandant des prières, des sacrifices et notamment la récitation du chapelet pour alléger les souffrances de la guerre. Parmi les visionnaires de Fatima se trouvait la jeune Lúcia dos Santos qui deviendra plus tard une Carmélite Déchaussée et à qui la Vierge, à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, lui confie la tâche de demander aux autorités de l’Église, la consécration de l’Humanité (et de la Russie tout particulièrement) à son cœur immaculé afin d’éviter des maux encore pires que ceux de la Grande Guerre. Malheureusement, cet acte de consécration n’a pas eu lieu et la guerre s’éclate avec une force jusque-là jamais connue et le communisme s’étend globalement. Reste encore le doute de savoir si les atrocités du nazisme, la guerre et le communisme auront pu être écartés ou minimisés si l’Humanité aurait été consacré au cœur immaculé de Marie. Parallèlement, Edith Stein et Tito Brandsma ont payé avec leur vie leur opposition à la terreur nazie qui voulait régner pendant mille ans, mais qu’est tombé au bout de sa sixième année.
Quelques décennies plus tard, lorsque le pape Jean Paul II (qu’avait voulu rejoindre le Carmel), avec la concurrence de tous les évêques de l’Église, consacre l’Humanité tout entière au cœur immaculé de Marie (1984) et proclame une Année Mariale d’action de grâce (1987-88) ; il ne suffira pas d’attendre dix ans pour que le communisme athée s’écroule devant les yeux du monde.
Aujourd’hui l’Église s’affronte aux défis d’un Islam avec prétentions d’écarter le Christianisme et devenir la seule religion universelle, ainsi comme les exigences d’une nouvelle évangélisation en terres où jadis étaient les piliers de la foi chrétienne. Le Carmel y est, aux côtés de l’Église, avec ses prières pour mener le combat spirituel encore une fois de plus.
À propos du Carmel, le célèbre trappiste Thomas Merton dira: «sous le titre de ‘Notre-Dame du Mont-Carmel’ la bienheureuse Vierge Marie est vénérée comme la patronne des contemplatifs, surtout de ceux qui essayent de partager avec les autres les fruits de leur contemplation. En effet, sous sa guidance, l’Ordre fondé en son honneur, cherche à atteindre les plus hauts degrés de la contemplation mystique à ses confrères, ainsi comme, par son intercession, y amener d’autres au-delà de ses bornes. C’est pourquoi, il n’y a personne dans l’Église qui ne doit quelque chose au Carmel».